Le volumineux dossier d’instruction du procès Grégoire révèle que la réalité est plus complexe que ne l’ont décrite des témoins politiquement engagés et affectivement meurtris par la mort de leurs camarades. R. Grégoire a eu, de 1939 à 1943, des activités de résistance au sein des services de renseignement du colonel Hugon. Il est entré en contact avec le 2ème bureau de l’armée française en 1937 alors qu’il était en fonction à Dijon. Il y est resté pendant la drôle de guerre et a repris ses contacts durant l’été 1940. Il a fourni des papiers d’identité à des prisonniers de guerre évadés de l’hôpital de Dijon et transmis des renseignements. En 1941 à Auxerre, il rencontre Henri Cronier, agent sénonais du réseau et Marcel Choupot.
R. Grégoire a eu de 1942 à 1944 de nombreux contacts avec des responsables des organisations de résistance de l’Yonne. Dans la plupart des cas ces relations semblent superficielles et ne traduisent pas sa participation à leur activité. Il rencontre ainsi Roland Moreau, responsable jovinien du Front national, Baudon de Résistance, Aubin et Vauthier de Libération-Nord, le docteur Potiron de Ceux de la Libération. Certains d’entre eux se méfient de lui et A. Daprey affirme même que son organisation avait envisagé de le supprimer. Par contre R. Grégoire entretient des relations régulières avec les responsables du réseau Jean-Marie Buckmaster. Il a rencontré P. Argoud, A. de la Roussilhe, R. Bardet, et il a obtenu une entrevue à Joigny avec Henri Frager, responsable national du réseau. Ces relations sont très vraisemblablement à mettre en rapport avec le fait que le 26 août 1944, Roger Bardet libère Grégoire de la prison d’Auxerre, le garde à Villiers-sur-Tholon pendant une dizaine de jours avant de le reconduire à Auxerre où Grégoire affirme vouloir s’expliquer devant la justice. Le procureur ne s’est pas montré curieux sur ces faits et les responsables du réseau Jean-Marie ne les ont pas commentés.
René Grégoire est en contact avec Marcel Choupot dès 1941. Quand Choupot est nommé chef départemental des FFI au printemps 1944, il continue de rencontrer Grégoire. Le 17 juillet 1944 dans la matinée, Choupot rencontre Grégoire qui lui remet des documents. Il semble que ce soient ces documents que M. Choupot tente de dissimuler l’après-midi quand il est pris dans le guet-apens de l’hôtel de la Fontaine.
Le commissaire du Gouvernement, dans son réquisitoire, rejette d’une phrase toute activité de Grégoire en faveur de la Résistance : elle a été « insignifiante » et « procéda plus d’un bas opportunisme et d’un vil intérêt personnel que d’un véritable sens national inspiré du patriotisme ». De plus cette activité souffre d’avoir été sélective : « l’accusé prétendit qu’il avait favorisé certains membres de la Résistance appartenant au mouvement dit IS (pour Intelligence Service, c’est ainsi qu’est souvent qualifié le réseau Jean-Marie), mais cela ne devait pas l’empêcher de nuire (…) au Front national qui fut peut-être le plus important de tous ». Il met en cause la vie privée du commissaire, « vie de débauches, libations, parties fines (…), fréquentant les femmes publiques (…) et ayant de nombreuses maîtresses ». Il fait de Grégoire le portrait d’un homme au « zèle intempestif, inexcusable et criminel, aux sentiments anti-français » dont « l’attitude systématiquement favorable à l’ennemi » et « l’activité policière intensive au profit des Allemands (…) provoqua la mort, la déportation ou l’internement de nombreux Français, tous patriotes et membres de la Résistance ».
Le 20 avril 1945, à l’issue d’un réquisitoire accablant, R. Grégoire est condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi. Le 5 juin 1945, il est fusillé. Il est l’un des deux seuls condamnés exécutés dans le département de l’Yonne.
Sources : AN, 72 AJ 1908 (témoignage de P. Vauthier) et 72 AJ 208 (témoignage de l’abbé Bouiller). ADY, 6 W 25470 (dossier d’instruction du procès Grégoire). ADCO, 40 M 366 et 40 M 111 (témoignage de l’inspecteur Soret). Le Travailleur de l’Yonne, avril 1945. L’Yonne Républicaine, avril 1945. Le dossier Grégoire, Yonne mémoire, bulletin spécial hors-série, janvier 2008.
Joël Drogland.